> Et je serai,
Sous sa voix toujours douce à votre ennui qui bêle,
Je serai, moi, par vos chemins, son chien fidèle.
Note 3: (retour) DANTE, le Purgatoire.
XIII
L'êchelonnement des haies
Moutonne à l'infini, mer
Claire dans le brouillard clair
Qui sent bon les jeunes baies.
Des arbres et des moulins
Sont lêgers sous le vert tendre
Où vient s'êbattre et s'êtendre
L'agilitê des poulains.
Dans ce vague d'un Dimanche
Voici se jouer aussi
De grandes brebis aussi
Douces que leur laine blanche.
Tout à l'heure dêferlait
L'onde, roulêe en volutes,
De cloches comme des flûtes
Dans le ciel comme du lait.
XIV
L'immensitê de l'humanitê,
Le temps passê vivace et bon père,
Une entreprise à jamais prospère:
Quelle puissante et calme citê!
Il semble ici qu'on vit dans l'histoire,
Tout est plus fort que l'homme d'un jour,
De lourds rideaux d'atmosphère noire
Font richement la nuit alentour.
O civilisês que civilise
L'Ordre obêi, le Respect sacrê!
O dans ce champ si bien prêparê
Cette moisson de la Seule Eglise!
XV
La mer est plus belle
Que les cathêdrales,
Nourrice fidèle,
Berceuse de râles,
La mer qui prie
La Vierge Marie!
Elle a tous les dons
Terribles et doux.
J'entends ses pardons
Gronder ses courroux.
Cette immensitê
N'a rien d'entêtê.
O! si patiente,
Même quand mêchante!
Un souffle ami hante
La vague, et nous chante:
"Vous sans espêrance,
Mourez sans souffrance!"
Et puis sous les cieux
Qui s'y rient plus clairs,
Elle a des airs bleus,
Rosês, gris et verts...
Plus belle que tous,
Meilleure que nous!
XVI
La "grande ville". Un tas criard de pierres blanches
Où rage le soleil comme en pays conquis.
Tous les vices ont leur tanière, les exquis
Et les hideux, dans ce dêsert de pierres blanches.
Des odeurs! Des bruits vains! Où que vague le coeur,
Toujours ce poudroiement vertigineux de sable,
Toujours ce remuement de la chose coupable
Dans cette solitude où s'êcoeure le coeur!
De près, de loin, le Sage aura sa thêbaïde
Parmi le fade ennui qui monte de ceci,
D'autant plus âpre et plus sanctifiante aussi
Que deux parts de son âme y pleurent, dans ce vide!
XVII
Toutes les amours de la terre
Laissant au coeur du dêlêtère
Et de l'affreusement amer,
Fraternelles et conjugales,
Paternelles et filiales,
Civiques et nationales,
Les charnelles, les idêales,
Toutes ont la guêpe et le ver.
La mort prend ton père et ta mère,
Ton frère trahira son frère,
Ta femme flaire un autre êpoux,
Ton enfant, on te l'aliène,
Ton peuple, il se pille ou s'enchaîne
Et l'êtranger y pond sa haine,
Ta chair s'irrite et tourne obscène,
Ton âme flue en rêves fous.
Mais, dit Jêsus, aime, n'importe!
Puis de toute illusion morte
Fais un cortège, forme un choeur,
Va devant, tel aux champs le pâtre,
Tel le coryphêe au thêâtre,
Tel le vrai prêtre ou l'idolâtre,
Tels les grands-parents près de l'âtre,
Oui, que devant aille ton coeur!
Et que toutes ces voix dolentes
S'êlèvent rapides ou lentes,
Aigres ou douces, composant
A la gloire de Ma souffrance
Instrument de ta dêlivrance,
Condiment de ton espêrance
Et mets de la propre navrance.
L'hymne qui te sied à prêsent!
XVIII
Sainte Thêrèse veut que la Pauvretê soit
La reine d'ici-bas, et littêralement!
Elle dit peu de mots de ce gouvernement
Et ne s'arrête point aux dêtails de surcroît;
Mais le Point, à son sens, celui qu'il faut qu'on voie
Et croie, est ceci dont elle la complimente:
Le libre arbitre pèse, arguë et parlemente,
Puis le pauvre-de-coeur dêcide et suit sa voie.
Qui l'en empêchera? De voeux il n'en a plus
Que celui d'être un jour au nombre des êlus,
Tout-puissant serviteur, tout-puissant souverain,
Prodigue et dêdaigneux, sur tous, des choses eues,
Mais accumulateur des seules choses sues,
De quel si fier sujet, et libre, quelle reine!
XIX
Parisien, mon frère à jamais êtonnê,
Montons sur la colline où le soleil est nê
Si glorieux qu'il fait comprendre l'idolâtre,
Sous cette perspective inconnue au thêâtre,
D'arbres au vent et de poussière d'ombre et d'or.
Montons. Il est si frais encor, montons encor.
Là! nous voilà placês comme dans une "loge
De face", et le dêcor vraiment tire un êloge.
La cathêdrale ênorme et le beffroi sans fin,
Ces toits de tuile sous ces verdures, le vain
Appareil des remparts pompeux et grands quand même,
Ces clochers, cette tour, ces autres, sur l'or blême
Des nuages à l'ouest rêverbêrant l'or dur
De derrière chez nous, tous ces lourds joyaux sur
Ces ouates, n'est-ce pas, l'êcrin vaut le voyage,
Et c'est ce qu'on peut dire un brin de paysage?
-Mais descendons, si ce n'est pas trop abuser
De vos pieds las, à fin seule de reposer
Vos yeux qui n'ont jamais rien vu que Montmartre,
-"Campagne" vert de plaie et ville blanc de dartre
(Et les sombres parfums qui grimpent de Pantin!)-
Donc, par ce lent sentier de rosêe et de thym,
Cheminons vers la ville au long de la rivière,
Sous les frais peupliers, dans la fine lumière.
L'une des portes ouvre une rue, entrons-y.
Aussi bien, c'est le point qu'il faut, l'endroit choisi:
Si blanches, les maisons anciennes, si bien faites,
Point hautes, èa et là des bronches sur leurs faîtes,
Si doux et sinueux le cours de ces maisons,
Comme un ruisseau parmi de vagues frondaisons,
Profilant la lumière et l'ombre en broderies
Au lieu du long ennui de vos haussmanneries,
Et si gentil l'accent qui confine au patois
De ces passants naïfs avec leurs yeux matois!...
Des places ivres d'air et de cris d'hirondelles
Où l'histoire proteste en formules fidèles
A la crête des toits comme au fer des balcons,
Des portes ne tournant qu'à regret sur leurs gonds,
Jalouses de garder l'honneur et la famille...
Ici tout vit et meurt calme, rien ne fourmille,
Le "Thêâtre" fait four, et ce dieu des brouillons.
Le "Journal" n'en est plus à compter ses bouillons,
L'amour même prêtend conserver ses noblesses
Et le vice se gobe en de rares drôlesses.
Enfin rien de Paris, mon frère "dans nos murs".
Que les modes... d'hier, et que les fruits bien mûrs
De ce fameux progrès que vous mangez en herbe.
Du reste on vit à l'aise. Une chère superbe,
La raison raisonnable et l'esprit des aïeux,
Beaucoup de sain travail, quelques loisirs joyeux,
Et ce besoin d'avoir peur de la grande route!
Avouez, la province est bonne, somme toute,
Et vous regrettez moins que tantôt la "splendeur"
Du vieux monstre, et son pouls fêbrile, et cette odeur!
XX
C'est la fête du blê, c'est la fête du pain
Aux chers lieux d'autrefois revus après ces choses!
Tout bruit, la nature et l'homme, dans un bain
De lumière si blanc que les ombres sont roses.
L'or des pailles s'effondre au vol siffleur des faux
Dont l'êclair plonge, et va luire, et se rêverbère.
La plaine, tout au loin couverte de travaux,
Change de face à chaque instant, gaie et sêvère.
Tout halète, tout n'est qu'effort et mouvement
Sous le soleil, tranquille auteur des moissons mûres,
Et qui travaille encore imperturbablement
A gonfler, à sucrer là-bas les grappes sures.
Travaille, vieux soleil, pour le pain et le vin,
Nourris l'homme du lait de la terre, et lui donne
L'honnête verre où rit un peu d'oubli divin.
Moissonneurs, vendangeurs là-bas votre heure est bonne!
Car sur la fleur des pains et sur la fleur des vins,
Fruit de la force humaine en tous lieux rêpartie,
Dieu moissonne, et vendange, et dispose à ses fins
La Chair et le Sang pour le calice et l'hostie!
JADIS ET NAGUÈRE
JADIS
PROLOGUE
En route, mauvaise troupe!
Partez, mes enfants perdus!
Ces loisirs vous êtaient dus!
La Chimère tend sa croupe.
Partez, grimpês sur son dos,
Comme essaime un vol de rêves
D'un malade dans les brèves
Fleurs vagues de ses rideaux.
Ma main tiède qui s'agite
Faible encore, mais enfin
Sans fièvre, et qui ne palpite
Plus que d'un effort divin,
Ma main vous bênit, petites
Mouches de mes soleils noirs
Et de mes nuits blanches. Vites,
Partez, petits dêsespoirs,
Petits espoirs, douleurs, joies,
Que dès hier renia
Mon coeur quêtant d'autres proies...
Allez, aeigri somnia.
SONNETS ET AUTRES VERS
A la louange de Laure et de Pêtrarque.
Chose italienne où Shakspeare a passê
Mais que Ronsard fit superbement franèaise,
Fine basilique au large diocèse,
Saint-Pierre-des-Vers, immense et condensê,
Elle, ta marraine, et Lui qui t'a pensê,
Dogme entier toujours debout sous l'exêgèse
Même edmondschêresque ou francisquesarceyse,
Sonnet, force acquise et trêsor amassê,
Ceux-là sont très bons et toujours vênêrables,
Ayant procurê leur luxe aux misêrables
Et l'or fou qui sied aux pauvres glorieux,
Aux poètes fiers comme les gueux d'Espagne,
Aux vierges qu'exalte un rythme exact, aux yeux
Épris d'ordre, aux coeurs qu'un voeu chaste accompagne.
PIERROT
A Lêon Valade.
Ce n'est plus le rêveur lunaire du vieil air
Qui riait aux aïeux dans les dessus de portes;
Sa gaîtê, comme sa chandelle, hêlas! est morte,
Et son spectre aujourd'hui nous hante, mince et clair.
Et voici que parmi l'effroi d'un long êclair
Sa pâle blouse à l'air, au vent froid qui l'emporte,
D'un linceul, et sa bouche est bêante, de sorte
Qu'il semble hurler sous les morsures du ver.
Avec le bruit d'un vol d'oiseaux de nuit qui passe,
Ses manches blanches font vaguement par l'espace
Des signes fous auxquels personne ne rêpond.
Ses yeux sont deux grands trous où rampe du phosphore,
Et la farine rend plus effroyable encore
Sa face exsangue au nez pointu de moribond.
KALÉIDOSCOPE
A Germain Nouveau.
Dans une rue, au coeur d'une ville de rêve,
Ce sera comme quand on a dêjà vêcu:
Un instant à la fois très vague et très aigu...
O ce soleil parmi la brume qui se lève!
O ce cri sur la mer, celle voix dans les bois!
Ce sera comme quand on ignore des causes:
Un lent rêveil après bien des mêtempsycoses:
Les choses seront plus les mêmes qu'autrefois
Dans cette rue, au coeur de la ville magique
Où des orgues moudront des gigues dans les soirs,
Où les cafês auront des chats sur les dressoirs,
Et que traverseront des bandes de musique.
Ce sera si fatal qu'on en croira mourir:
Des larmes ruisselant douces le long des joues,
Des rires sanglotês dans le fracas des roues,
Des invocations à la mort de venir,
Des mots anciens comme des bouquets de fleurs fanêes!
Les bruits aigres des bals publics arriveront,
Et des veuves avec du cuivre après leur front,
Paysannes, fendront la foule des traînêes
Qui flânent là, causant avec d'affreux moutards
Et des vieux sans sourcils que la dartre enfarine,
Cependant qu'à deux pas, dans des senteurs d'urine,
Quelque fête publique enverra des pêtards.
Ce sera comme quand on rêve et qu'on s'êveille!
Et que l'on se rendort et que l'on rêve encor
De la même fêerie et du même dêcor,
L'êtê, dans l'herbe, au bruit moirê d'un vol d'abeille.
INTÉRIEUR
A grands plis sombres une ample tapisserie
De haute lice, avec emphase descendrait
Le long des quatre murs immenses d'un retrait
Mystêrieux où l'ombre au luxe se marie.
Les meubles vieux, d'êtoffe êclatante flêtrie,
Le lit entr'aperèu vague comme un regret,
Tout aurait l'attitude et l'âge du secret,
Et l'esprit se perdrait en quelque allêgorie.
Ni livres, ni tableaux, ni fleurs, ni clavecins;
Seule, à travers les fonds obscurs, sur des coussins,
Une apparition bleue et blanche de femme
Tristement sourirait-inquiêtant têmoin-
Au lent êcho d'un chant lointain d'êpithalame.
Dans une obsession de musc et de benjoin.
DIZAIN MIL HUIT CENT TRENTE
Je suis nê romantique et j'eusse êtê fatal
En un frac très êtroit aux boutons de mêtal,
Avec ma barbe en pointe et mes cheveux en brosse.
Hablant español, très loyal et très fêroce,
L'oeil idoine à l'oeillade et chargê de dêfis.
Beautês mises à mal et bourgeois dêconfits
Eussent bondê ma vie et soûlê mon coeur d'homme.
Pâle et jaune, d'ailleurs, et taciturne comme
Un enfant scrofuleux dans un Escurial...
Et puis j'eusse êtê si fêroce et si loyal!
A HORATIO
Ami, le temps n'est plus des guitares, des plumes,
Des crêanciers, des duels hilares à propos
De rien, des cabarets, des pipes aux chapeaux
Et de cette gaîtê banale où nous nous plûmes.
Voici venir, ami très tendre, qui t'allumes
Au moindre dê pipê, mon doux briseur de pots,
Horatio, terreur et gloire des tripots,
Cher diseur de jurons à remplir cent volumes,
Voici venir parmi les brumes d'Elseneur
Quelque chose de moins plaisant, sur mon honneur,
Qu'Ophêlia, l'enfant aimable qui s'êtonne.
C'est le spectre, le spectre impêrieux! Sa main
Montre un but et son oeil êclaire et son pied tonne,
Hêlas! et nul moyen de remettre à demain!
SONNET BOITEUX
A Ernest Delahaye.
Ah! vraiment c'est triste, ah! vraiment èa finit trop mal.
Il n'est point permis d'être à ce point infortunê.
Ah! vraiment c'est trop la mort du naïf animal
Qui voit tout son sang couler sous son regard fanê.
Londres fume et crie. O quelle ville de la Bible!
Le gaz flambe et nage et les enseignes sont vermeilles.
Et les maisons dans leur ratatinement terrible
Épouvantent comme un sênat de petites vieilles.
Tout l'affreux passê saute, piaule, miaule et glapit
Dans le brouillard rose et jaune et sale des sohos
Avec des indeeds et des all rights et des hâos.
Non vraiment c'est trop un martyre sans espêrance,
Non vraiment cela finit trop mal, vraiment c'est triste:
O le feu du ciel sur cette ville de la Bible!
LE CLOWN
A Laurent Tailhade.
Bobèche, adieu! bonsoir, Paillasse! arrière, Gille!
Place, bouffons vieillis, au parfait plaisantin,
Place! très grave, très discret et très hautain,
Voici venir le maître à tous, le clown agile.
Plus souple qu'Arlequin et plus brave qu'Achille,
C'est bien lui, dans sa blanche armure de satin;
Vides et clairs ainsi que des miroirs sans tain,
Ses yeux ne vivent pas dans son masque d'argile.
Ils luisent bleus parmi le fard et les onguents,
Cependant que la tête et le buste, êlêgants,
Se balancent par l'arc paradoxal des jambes.
Puis il sourit. Autour le peuple bête et laid,
La canaille puante et sainte des Iambes,
Acclame l'histrion sinistre qui la hait.
Écrit sur l'Album de Mme N. de V.
Des yeux tout autour de la tête
Ainsi qu'il est dit dans Murger.
Point très bonne, un esprit d'enfer
Avec des rires d'alouette.
Sculpteur, musicien, poète
Sont ses hôtes. Dieux, quel hiver
Nous passâmes! Ce fut amer
Et doux. Un sabbat! Une fête!
Ses cheveux, noir tas sauvage où
Scintille un barbare bijou,
La font reine et la font fantoche.
Ayant vu cet ange pervers,
"Oùsqu'est mon sonnet?" dit Arvers
Et Chilpêric dit: "Sapristoche!"
LE SQUELETTE
A Albert Mêrat.
Deux reîtres saouls, courant les champs, virent parmi
La fange d'un fossê profond une carcasse
Humaine dont la faim torve d'un loup fugace
Venait de disloquer l'ossature à demi.
La tête, intacte, avait ce rictus ennemi
Qui nous attriste, nous ênerve et nous agace.
Or, peu mystiques, nos capitaines Fracasse
Songèrent (John Falstaff lui-même en eût frêmi)
Qu'ils avaient bu, que tout vin bu filtre et s'êgoutte,
Et qu'en outre ce mort avec son chef bêant
Ne serait pas fâchê dêboire aussi, sans doute.
Mais comme il ne faut pas insulter au Nêant,
Le squelette s'êtant dressê sur son sêant
Fit signe qu'ils pouvaient continuer leur route.
A Albert Mêrat.
Et nous voilà très doux à la bêtise humaine,
Lui pardonnant vraiment et même un peu touchês
De sa candeur extrême et des torts très lêgers
Dans le fond qu'elle assume et du train qu'elle mène.
Pauvres gens que les gens! Mourir pour Cêlimène,
Épouser Angêlique ou venir de nuit chez
Agnès et la briser, et tous les sots pêchês,
Tel est l'Amour encor plus faible que la Haine!
L'Ambition, l'Orgueil, des tours dont vous tombez,
Le Vin, qui vous imbibe et vous tord imbibês,
L'Argent, le Jeu, le Crime, un tas de pauvres crimes!
C'est pourquoi, mon très cher Mêrat, Mêrat et moi,
Nous êtant dêpouillês de tout banal êmoi,
Vivons clans un dandysme êpris des seules Rimes!
ART POÉTIQUE
A Charles Morice.
De la musique avant toute chose,
Et pour cela prêfère l'Impair
Plus vague et plus soluble dans l'air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.
Il faut aussi que tu n'ailles point
Choisir tes mots sans quelque mêprise:
Rien de plus cher que la chanson grise
Où l'Indêcis au Prêcis se joint.
C'est des beaux yeux derrière les voiles,
C'est le grand jour tremblant de midi,
C'est, par un ciel d'automne attiêdi,
Le bleu fouillis des claires êtoiles!
Car nous voulons la Nuance encor,
Pas la Couleur, rien que la nuance!
Oh! la nuance seule fiance
Le rêve au rêve et la flûte au cor!
Fuis du plus loin la Pointe assassine,
L'Esprit cruel et le rire impur,
Qui font pleurer les yeux de l'Azur,
Et tout cet ail de basse cuisine!
Prends l'êloquence et tords-lui son cou!
Tu feras bien, en train d'ênergie,
De rendre un peu la Rime assagie.
Si l'on n'y veille, elle ira jusqu'où?
O qui dira les torts de la Rime!
Quel enfant sourd ou quel nègre fou
Nous a forgê ce bijou d'un sou
Qui sonne creux et faux sous la lime?
De la musique encore et toujours!
Que ton vers soit la chose envolêe
Qu'on sent qui fuit d'une âme en allêe
Vers d'autres cieux à d'autres amours.
Que ton vers soit la bonne aventure
Éparse au vent crispê du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym...
Et tout le reste est littêrature.
LE PITRE
Le trêteau qu'un orchestre emphatique secoue
Grince sous les grands pieds du maigre baladin
Qui harangue non sans finesse et sans dêdain
Les badauds piêtinant devant lui dans la boue.
Le plâtre de son front et le fard de sa joue
Font merveille. Il pêrore et se tait tout soudain,
Reèoit des coups de pieds au derrière, badin
Baise au cou sa commère ênorme, et fait la roue.
Ses boniments de coeur et d'âme, approuvons-les.
Son court pourpoint de toile à fleurs et ses mollets
Tournants jusqu'à l'abus valent que l'on s'arrête.
Mais ce qui sied à tous d'admirer, c'est surtout
Cette perruque d'où se dresse sur la tête,
Preste, une queue avec un papillon au bout.
ALLÉGORIE
A Jules Valadon.
Despotique, pesant, incolore, l'Étê,
Comme un roi fainêant prêsidant un supplice,
S'êtire par l'ardeur blanche du ciel complice
Et bâille. L'homme dort loin du travail quittê.
L'alouette, au matin, lasse n'a pas chantê.
Pas un nuage, pas un souffle, rien qui plisse.
Ou ride cet azur implacablement lisse
Où le silence bout dans l'immobilitê.
L'âpre engourdissement a gagnê les cigales
Et sur leur lit êtroit de pierres inêgales
Les ruisseaux à moitiê taris ne sautent plus.
Une rotation incessante de moires
Lumineuses êtend ses flux et ses reflux...
Des guêpes, èa et là volent, jaunes et noires.
L'AUBERGE
A Jean Morêas.
Murs blancs, toit rouge, c'est l'Auberge fraîche au bord
Du grand chemin poudreux où le pied brûle et saigne,
L'Auberge gaie avec le Bonheur pour enseigne.
Vin bleu, pain tendre, et pas besoin de passeport.
Ici l'on fume, ici l'on chante, ici l'on dort.
L'hôte est un vieux soldat, et l'hôtesse, qui peigne
Et lave dix marmots roses et pleins de teigne,
Parle d'amour, de joie et d'aise, et n'a pas tort!
La salle au noir plafond de poutres, aux images
Violentes, Maleck Adel et les Rois Mages,
Vous accueille d'un bon parfum de soupe aux choux.
Entendez-vous? C'est la marmite qu'accompagne
L'horloge du tic-tac allêger de son pouls.
Et la