bsp; En l'êlêgance rêclamêe
De tout irrêprochable amant
Comme de toute digne aimêe...
Or cet Hiver, Madame, et nos
Parieurs tremblent pour leur bourse,
Et dêjà les autres traîneaux
Osent nous disputer la course.
Les deux mains dans votre manchon,
Tenez-vous bien sur la banquette
Et filons!-et bientôt Fanchon
Nous fleurira quoiqu'on caquette!
FANTOCHES
Scaramouche et Pulcinella,
Qu'un mauvais dessein rassembla,
Gesticulent, noirs sur la lune.
Cependant l'excellent docteur
Bolonais cueille avec lenteur
Des simples parmi l'herbe brune.
Lors sa fille, piquant minois,
Sous la charmille en tapinois
Se glisse demi-nue, en quête
De son beau pirate espagnol,
Dont un langoureux rossignol
Clame la dêtresse à tue-tête.
CYTHÈRE
Un pavillon à claires-voies
Abrite doucement nos joies
Qu'êventent des rosiers amis;
L'odeur des roses, faible, grâce
Au vent lêger d'êtê qui passe,
Se mêle aux parfums qu'elle a mis;
Comme ses yeux l'avaient promis,
Son courage est grand et sa lèvre
Communique une exquise fièvre;
Et l'Amour comblant tout, hormis
La Faim, sorbets et confitures
Nous prêservent des courbatures.
EN BATEAU
L'êtoile du berger tremblote
Dans l'eau plus noire et le pilote
Cherche un briquet dans sa culotte.
C'est l'instant, Messieurs, ou jamais,
D'être audacieux, et je mets
Mes deux mains partout dêsormais!
Le chevalier Atys qui gratte
Sa guitare, à Chloris l'ingrate
Lance une oeillade scêlêrate.
L'abbê confesse bas Églê,
Et ce vicomte dêrêglê
Des champs donne à son coeur la clê.
Cependant la lune se lève
Et l'esquif en sa course brève
File gaîment sur l'eau qui rêve.
LE FAUNE
Un vieux faune de terre cuite
Rit au centre des boulingrins,
Prêsageant sans doute une suite
Mauvaise à ces instants sereins
Qui m'ont conduit et t'ont conduite,
Mêlancoliques pèlerins,
Jusqu'à cette heure dont la fuite
Tournoie au son des tambourins.
MANDOLINE
Les donneurs de sêrênades
Et les belles êcouteuses
Échangent des propos fades
Sous les ramures chanteuses.
C'est Tircis et c'est Aminte,
Et c'est l'êternel Clitandre,
Et c'est Damis qui pour mainte
Cruelle fait maint vers tendre.
Leurs courtes vestes de soie,
Leurs longues robes à queues,
Leur êlêgance, leur joie
Et leurs molles ombres bleues,
Tourbillonnent dans l'extase
D'une lune rose et grise,
Et la mandoline jase
Parmi les frissons de brise.
A CLYMÈNE
Mystiques barcarolles,
Romances sans paroles,
Chère, puisque tes yeux,
Couleur des cieux,
Puisque ta voix, êtrange
Vision qui dêrange
Et trouble l'horizon
De ma raison,
Puisque l'arôme insigne
De ta pâleur de cygne
Et puisque la candeur
De ton odeur,
Ah! puisque tout ton être,
Musique qui pênètre,
Nimbes d'anges dêfunts,
Tons et parfums.
A sur d'almes cadences
En ses correspondances,
Induit mon coeur subtil,
Ainsi soit-il!
LETTRE
Eloignê de vos yeux, Madame, par des soins
Impêrieux (j'en prends tous les dieux à têmoins),
Je languis et je meurs, comme c'est ma coutume
En pareil cas, et vais, le coeur plein d'amertume,
A travers des soucis où votre ombre me suit,
Le jour dans mes pensêes, dans mes rêves la nuit.
Et la nuit et le jour adorable, Madame!
Si bien qu'enfin, mon corps faisant place à mon âme,
Je deviendrai fantôme à mon tour aussi, moi,
Et qu'alors, et parmi le lamentable êmoi
Des enlacements vains et des dêsirs sans nombre,
Mon ombre se fondra à jamais en notre ombre.
En attendant, je suis, très chère, ton valet.
Tout se comporte-t-il là-bas comme il te plaît,
Ta perruche, ton chat, ton chien? La compagnie
Est-elle toujours belle, et cette Silvanie
Dont j'eusse aimê l'oeil noir si le tien n'êtait bleu,
Et qui parfois me fit des signes, palsambleu!
Te sert-elle toujours de douce confidente?
Or, Madame, un projet impatient me hante
De conquêrir le monde et tous ses trêsors pour
Mettre à vos pieds ce gage-indigne-d'un amour
Égal à toutes les flammes les plus cêlèbres
Qui des grands coeurs aient fait resplendir les tênèbres.
Clêopàtre fut moins aimêe, oui, sur ma foi!
Par Marc-Antoine et par Cêsar que vous par moi,
N'en doutez pas, Madame, et je saurai combattre
Comme Cêsar pour un sourire, ô Clêopâtre,
Et comme Antoine fuir au seul prix d'un baiser.
Sur ce, très chère, adieu. Car voilà trop causer
Et le temps que l'on perd à lire une missive
N'aura jamais valu la peine qu'on l'êcrive.
LES INDOLENTS
Bah! malgrê les destins jaloux,
Mourons ensemble, voulez-vous?
-La proposition est rare.
-Le rare est le bon. Donc mourons
Comme dans les Dêcamêrons.
-Hi! hi! hi! quel amant bizarre!
-Bizarre, je ne sais. Amant
Irrêprochable, assurêment.
Si vous voulez, mourons ensemble?
-Monsieur, vous raillez mieux encor
Que vous n'aimez, et parlez d'or;
Mais taisons-nous, si bon vous semble?
Si bien que ce soir-là Tircis
Et Dorimène, à deux assis
Non loin de deux silvains hilares,
Eurent l'inexpiable tort
D'ajourner une exquise mort.
Hi! hi! hi! les amants bizarres!
COLOMBINE
Lêandre le sot,
Pierrot qui d'un saut
De puce
Franchit le buisson,
Cassandre sous son
Capuce,
Arlequin aussi,
Cet aigrefin si
Fantasque
Aux costumes fous,
Ses yeux luisants sous
Son masque,
-Do, mi, sol, mi, fa,-
Tout ce monde va,
Rit, chante
Et danse devant
Une belle enfant
Mêchante
Dont les yeux pervers
Comme les yeux verts
Des chattes
Gardent ses appas
Et disent: "A bas
Les pattes!"
-Eux ils vont toujours!
Fatidique cours
Des astres,
Oh! dis-moi vers quels
Mornes ou cruels
Dêsastres
L'implacable enfant,
Preste et relevant
Ses jupes,
La rose au chapeau,
Conduit son troupeau
De dupes?
L'AMOUR PAR TERRE
Le vent de l'autre nuit a jetê bas l'Amour
Qui, dans le coin le plus mystêrieux du parc,
Souriait en bandant malignement son arc,
Et dont l'aspect nous fit tant songer tout un jour!
Le vent de l'autre nuit l'a jetê bas! Le marbre
Au souffle du matin tournoie, êpars. C'est triste
De voir le piêdestal, où le nom de l'artiste
Se lit pêniblement parmi l'ombre d'un arbre.
Oh! c'est triste de voir debout le piêdestal
Tout seul! et des pensers mêlancoliques vont
Et viennent dans mon rêve où le chagrin profond
Évoque un avenir solitaire et fatal.
Oh! c'est triste!-Et toi-même, est-ce pas? es touchêe
D'un si dolent tableau, bien que ton oeil frivole
S'amuse au papillon de pourpre et d'or qui vole
Au-dessus des dêbris dont l'allêe est jonchêe.
EN SOURDINE
Calmes dans le demi-jour
Que les branches hautes font,
Pênêtrons bien notre amour
De ce silence profond.
Fondons nos âmes, nos coeurs
Et nos sens extasiês,
Parmi les vagues langueurs
Des pins et des arbousiers.
Ferme tes yeux à demi,
Croise tes bras sur ton sein,
Et de ton coeur endormi
Chasse à jamais tout dessein.
Laissons-nous persuader
Au souffle berceur et doux
Qui vient à tes pieds rider
Les ondes de gazon roux.
Et quand, solennel, le soir
Des chênes noirs tombera,
Voix de notre dêsespoir,
Le rossignol chantera.
COLLOQUE SENTIMENTAL
Dans le vieux parc solitaire et glacê
Deux formes ont tout à l'heure passê.
Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l'on entend à peine leurs paroles.
Dans le vieux parc solitaire et glacê
Deux spectres ont êvoquê le passê.
-Te souvient-il de notre extase ancienne?
-Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne?
-Ton coeur bat-il toujours à mon seul nom?
Toujours vois-tu mon âme en rêve?-Non.
-Ah! les beaux jours de bonheur indicible
Où nous joignions nos bouches!-C'est possible.
Qu'il êtait bleu, le ciel, et grand l'espoir!
-L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.
Tels ils marchaient dans les avoines folles,
Et la nuit seule entendit leurs paroles.
LA BONNE CHANSON
I
Le soleil du matin doucement chauffe et dore.
Les seigles et les blês tout humides encore,
Et l'azur a gardê sa fraîcheur de la nuit.
L'on sort sans autre but que de sortir; on suit,
Le long de la rivière aux vagues herbes jaunes,
Un chemin de gazon que bordent de vieux aunes.
L'air est vif. Par moments un oiseau vole avec
Quelque fruit de la haie ou quelque paille au bec,
Et son reflet dans l'eau survit à son passage.
C'est tout.
Mais le songeur aime ce paysage
Dont la claire douceur a soudain caressê
Son rêve de bonheur adorable, et bercê
Le souvenir charmant de cette jeune fille,
Blanche apparition qui chante et qui scintille,
Dont rêve le poète et que l'homme chêrit,
Évoquant en ses voeux dont peut-être on sourit
La Compagne qu'enfin il a trouvêe, et l'âme
Que son âme depuis toujours pleure et rêclame.
II
Toute grâce et toutes nuances
Dans l'êclat doux de ses seize ans,
Elle a la candeur des enfances
Et les manèges innocents.
Ses yeux qui sont les yeux d'un ange,
Savent pourtant, sans y penser,
Éveiller le dêsir êtrange
D'un immatêriel baiser.
Et sa main, à ce point petite
Qu'un oiseau-mouche n'y tiendrait,
Captive, sans espoir de fuite,
Le coeur pris par elle en secret.
L'intelligence vient chez elle
En aide à l'âme noble; elle est
Pure autant que spirituelle:
Ce qu'elle a dit, il le fallait!
Et si la sottise l'amuse
Et la fait rire sans pitiê,
Elle serait, êtant la muse,
Clêmente jusqu'à l'amitiê.
Jusqu'à l'amour-qui sait? peut-être,
A l'êgard d'un poète êpris
Qui mendierait sous sa fenêtre,
L'audacieux! un digne prix
De sa chanson bonne ou mauvaise!
Mais têmoignant sincèrement,
Sans fausse note, et sans fadaise,
Du doux mal qu'on souffre en aimant.
III
En robe grise et verte avec des ruches,
Un jour de juin que j'êtais soucieux,
Elle apparut souriante à mes yeux
Qui l'admiraient sans redouter d'embûches
Elle alla, vint, revint, s'assit, parla,
Lêgère et grave, ironique, attendrie:
Et je sentais en mon âme assombrie
Comme un joyeux reflet de tout cela;
Sa voix, êtant de la musique fine,
Accompagnait dêlicieusement
L'esprit sans fiel de son babil charmant
Où la gaîtê d'un coeur bon se devine.
Aussi soudain fus-je, après le semblant
D'une rêvolte aussitôt êtouffêe,
Au plein pouvoir de la petite Fêe
Que depuis lors je supplie en tremblant.
IV
Puisque l'aube grandit, puisque voici l'aurore,
Puisque, après m'avoir fui longtemps, l'espoir veut bien
Revoler devers moi qui l'appelle et l'implore,
Puisque tout ce bonheur veut bien être le mien,
C'en est fait à prêsent des funestes pensêes,
C'en est fait des mauvais rêves, ah! c'en est fait
Surtout de l'ironie et des lèvres pincêes
Et des mots où l'esprit sans l'âme triomphait.
Arrière aussi les poings crispês et la colère
A propos des mêchants et des sots rencontrês;
Arrière la rancune abominable! arrière
L'oubli qu'on cherche en des breuvages exêcrês!
Car je veux, maintenant qu'un Être de lumière
A dans ma nuit profonde êmis cette clartê
D'une amour à la fois immortelle et première,
De par la grâce, le sourire et la bontê,
Je veux, guidê par vous, beaux yeux aux flammes douces,
Par toi conduit, ô main où tremblera ma main,
Marcher droit, que ce soit par des sentiers de mousses
Ou que rocs et cailloux encombrent le chemin;
Oui, je veux marcher droit et calme dans la Vie,
Vers le but où le sort dirigera mes pas,
Sans violence, sans remords et sans envie.
Ce sera le devoir heureux aux gais combats.
Et comme, pour bercer les lenteurs de la route,
Je chanterai des airs ingênus, je me dis
Qu'elle m'êcoutera sans dêplaisir sans doute;
Et vraiment je ne veux pas d'autre Paradis.
V
Avant que tu ne t'en ailles,
Pâle êtoile du matin,
-Mille cailles
Chantent, chantent dans le thym.-
Tourne devers le poète,
Dont les yeux sont pleins d'amour,
-L'alouette
Monte au ciel avec le jour.-
Tourne ton regard que noie
L'aurore dans son azur;
-Quelle joie
Parmi les champs de blê mûr!-
Puis fais luire ma pensêe
Là-bas,-bien loin, oh! bien loin!
-La rosêe
Gaîment brille sur le foin.-
Dans le doux rêve où s'agite
Ma vie endormie encor...
-Vite, vite,
Car voici le soleil d'or.-
VI
La lune blanche
Luit dans les bois;
De chaque branche
Part une voix
Sous la ramêe...
O bien-aimêe.
L'êtang reflète,
Profond miroir,
La silhouette
Du saule noir
Où le vent pleure...
Rêvons, c'est l'heure.
Un vaste et tendre
Apaisement
Semble descendre
Du firmament
Que l'astre irise...
C'est l'heure exquise.
VII
Le paysage dans le cadre des portières
Court furieusement, et des plaines entières
Avec de l'eau, des blês, des arbres et du ciel
Vont s'engouffrant parmi le tourbillon cruel
Où tombent les poteaux minces du têlêgraphe
Dont les fils ont l'allure êtrange d'un paraphe.
Une odeur de charbon qui brûle et d'eau qui bout,
Tout le bruit que feraient mille chaînes au bout
Desquelles hurleraient mille gêants qu'on fouette;
Et tout à coup des cris prolongês de chouette.-
-Que me fait tout cela, puisque j'ai dans les yeux
La blanche vision qui fait mon coeur joyeux,
Puisque la douce voix pour moi murmure encore,
Puisque le Nom si beau, si noble et si sonore
Se mêle, pur pivot de tout ce tournoiement,
Au rythme du wagon brutal, suavement.
VIII
Une Sainte en son aurêole,
Une Châtelaine en sa tour.
Tout ce que contient la parole
Humaine de grâce et d'amour;
La note d'or que fait entendre
Un cor dans le lointain des bois,
Mariêe à la fiertê tendre
Des nobles Dames d'autrefois!
Avec cela le charme insigne
D'un frais sourire triomphant
Éclos dans des candeurs de cygne
Et des rougeurs de femme-enfant;
Des aspects nacrês, blancs et roses,
Un doux accord patricien.
Je vois, j'entends toutes ces choses
Dans son nom Carlovingien.
IX
Son bras droit, dans un geste aimable de douceur,
Repose autour du cou de la petite soeur,
Et son bras gauche suit le rythme de la jupe.
A cour sûr une idêe agrêable l'occupe,
Car ses yeux si francs, car sa bouche qui sourit,
Têmoignent d'une joie intime avec esprit.
Oh! sa pensêe exquise et fine, quelle est-elle?
Toute mignonne, tout aimable, et toute belle,
Pour ce portrait, son goût infaillible a choisi
La pose la plus simple et la meilleure aussi:
Debout, le regard droit, en cheveux; et sa robe
Est longue juste assez pour qu'elle ne dêrobe
Qu'à moitiê sous ses plis jaloux le bout charmant
D'un pied malicieux imperceptiblement.
X
Quinze longs jours encore et plus de six semaines
Dêjà! Certes, parmi les angoisses humaines
La plus dolente angoisse est celle d'être loin.
On s'êcrit, on se dit comme on s'aime; on a soin
D'êvoquer chaque jour la voix, les yeux, le geste
De l'être en qui l'on mit son bonheur, et l'on reste
Des heures à causer tout seul avec l'absent.
Mais tout ce que l'on pense et tout ce que l'on sent,
Et tout ce dont on parle avec l'absent, persiste
A demeurer blafard et fidèlement triste.
Oh! l'absence! le moins clêment de tous les maux!
Se consoler avec des phrases et des mots,
Puiser dans l'infini morose des pensêes
De quoi vous rafraîchir, espêrances lassêes,
Et n'en rien remonter que de fade et d'amer!
Puis voici, pênêtrant et froid comme le fer,
Plus rapide que les oiseaux et que les balles
Et que le vent du sud en mer et ses rafales
Et portant sur sa pointe aiguë un fin poison,
Voici venir, pareil aux flèches, le soupèon
Dêcochê par le Doute impur et lamentable.
Est-ce bien vrai? tandis qu'accoudê sur ma table
Je lis sa lettre avec des larmes dans les yeux,
Sa lettre, où s'êtale un aveu dêlicieux,
N'est-elle pas alors distraite en d'autres choses?
Qui sait? Pendant qu'ici, pour moi, lents et moroses
Coulent les jours, ainsi qu'un fleuve au bord flêtri,
Peut-être que sa lèvre innocente a souri?
Peut-être qu'elle est très joyeuse et qu'elle oublie?
Et je relis sa lettre avec mêlancolie.
XI
La dure êpreuve va finir:
Mon coeur, souris à l'avenir.
Ils sont passês les jours d'alarmes
Où j'êtais triste jusqu'aux larmes.
Ne suppute plus les instants,
Mon âme, encore un peu de temps.
J'ai lu les paroles amères
Et banni les sombres chimères.
Mes yeux exilês de la voir
De par un douloureux devoir,
Mon oreille avide d'entendre
Les notes d'or de sa voix tendre,
Tout mon être et tout mon amour
Acclament le bienheureux jour
Où, seul rêve et seule pensêe,
Me reviendra la fiancêe!
XII
Va, chanson, à tire-d'aile
Au-devant d'elle, et dis-lui
Bien que dans mon coeur fidèle
Un rayon joyeux a lui,
Dissipant, lumière sainte,
Ces tênèbres de l'amour:
Mêfiance, doute, crainte,
Et que voici le grand jour!
Longtemps craintive et muette,
Entendez-vous? la gaîtê
Comme une vive alouette
Dans le ciel clair a chantê.
Va donc, chanson ingênue,
Et que, sans nul regret vain,
Elle soit la bienvenue
Celle qui revient enfin.
XIII
Hier, on parlait de choses et d'autres,
Et mes yeux allaient recherchant les vôtres,
Et votre regard recherchait le mien
Tandis que courait toujours l'entretien.
Sous le sens banal des phrases pesêes
Mon amour errait après vos pensêes;
Et quand vous parliez, à dessein distrait
Je prêtais l'oreille à votre secret:
Car la voix, ainsi que les yeux de Celle
Qui vous fait joyeux et triste dêcèle,
Malgrê tout effort morose et rieur,
Et met en plein jour l'être intêrieur.
Or, hier, je suis parti plein d'ivresse:
Est-ce un espoir vain que mon coeur carresse,
Un vain espoir, faux et doux compagnon?
Oh! non! n'est-ce pas? n'est-ce pas que non?
XIV
Le foyer, la lueur êtroite de la lampe;
La rêverie avec le doigt contre la tempe
Et les yeux se perdant parmi les yeux aimês;
L'heure du thê fumant et des livres fermês;
La douceur de sentir la fin de la soirêe;
La fatigue charmante et l'attente adorêe
De l'ombre nuptiale et de la douce nuit,
Oh! tout cela, mon rêve attendri le poursuit