farce que tu ne penses."
"Et quant au soin frivole, ô doux morveux,
De te plaire ou de te dêplaire,
Je m'en soucie au point que, si tu veux,
Tu peux t'aller faire lanlaire."
IX
MADRIGAL
Tu m'as, ces pâles jours d'automne blanc, fait mal
A cause de tes yeux où fleurit l'animal,
Et tu me rongerais, en princesse Souris,
Du bout fin de la quenotte de ton souris.
Fille auguste qui fis flamboyer ma douleur
Avec l'huile rancie encor de ton vieux pleur!
Oui, folle, je mourrais de ton regard damnê.
Mais va (veux-tu?) l'êtang là dort insoupèonnê
Dont du lis, nef qu'il eût fallu qu'on acclamât,
L'eau morte a bu le vent qui coule du grand mât
T'y jeter, palme! et d'avance mon repentir
Parle si bas qu'il faut être sourd pour l'ouïr.
NAGUÈRE
PROLOGUE
Ce sont choses crêpusculaires.
Des visions de fui de nuit.
O Vêritê, tu les êclaires
Seulement d'une aube qui luit
Si pâle dans l'ombre abhorrêe
Qu'on doute encore par instants
Si c'est la lune qui les crêe
Sous l'horreur des rameaux flottants,
Ou si ces fantômes moroses
Vont tout à l'heure prendre corps
Et se mêler au choeur des choses
Dans les harmonieux dêcors
Du soleil et de la nature
Doux à l'homme et proclamant Dieu
Pour l'extase de l'hymne pure
Jusqu'à la douceur du ciel bleu.
CRIMEN AMORIS
A Villiers de l'Isle-Adam.
Dans un palais, soie et or, dans Ecbatane,
De beaux dêmons, des satans adolescents,
Au son d'une musique mahomêtane
Font litière aux Sept Pêchês de leurs cinq sens.
C'est la fête aux Sept Pêchês: ô qu'elle est belle!
Tous les Dêsirs rayonnaient en feux brutaux;
Les Appêtits, pages prompts que l'on harcèle,
Promenaient des vins roses dans des cristaux.
Des danses sur des rythmes d'êpithalames
Bien doucement se pâmaient en longs sanglots
Et de beaux choeurs de voix d'hommes et de femmes
Se dêroulaient, palpitaient comme des flots,
Et la bontê qui s'en allait de ces choses
Était puissante et charmante tellement
Que la campagne autour se fleurit de roses
Et que la nuit paraissait en diamant.
Or le plus beau d'entre tous ces mauvais anges
Avait seize ans sous sa couronne de fleurs.
Les bras croisês sur les colliers et les franges,
Il rêve, l'oeil plein de flammes et de pleurs.
En vain la fête autour se faisait plus folle,
En vain les satans, ses frères et ses soeurs,
Pour l'arracher au souci qui le dêsole,
L'encourageaient d'appels de bras caresseurs.
Il rêsistait à toutes câlineries,
Et le chagrin mettait un papillon noir
A son cher front tout brûlant d'orfèvreries:
O l'immortel et terrible dêsespoir!
Il leur disait: "O vous, laissez-moi tranquille!
Puis, les ayant baisês tous bien tendrement,
Il s'êvada d'avec eux d'un geste agile,
Leur laissant aux mains des pans de vêtement.
Le voyez-vous sur la tour la plus cêleste
Du haut palais avec une torche au poing?
Il la brandit comme un hêros fait d'un ceste:
D'en bas on croit que c'est une aube qui point.
Qu'est-ce qu'il dit de sa voix profonde et tendre
Qui se marie au claquement clair du feu
Et que la lune est extatique d'entendre?
"Oh! je serai celui-là qui crêera Dieu!
"Nous avons tous trop souffert, anges et hommes,
De ce conflit entre le Pire et le Mieux.
Humilions, misêrables que nous sommes,
Tous nos êlans dans le plus simple des voeux,
"O vous tous, ô nous tous, ô les pêcheurs tristes,
O les gais Saints! Pourquoi ce schisme têtu?
Que n'avons-nous fait, en habiles artistes,
De nos travaux la seule et même vertu!
"Assez et trop de ces luttes trop êgales!
Il va falloir qu'enfin se rejoignent les
Sept Pêchês aux Trois Vertus Thêologales!
Assez et trop de ces combats durs et laids!
"Et pour rêponse à Jêsus qui crut bien faire
En maintenant l'êquilibre de ce duel,
Par moi l'enfer dont c'est ici le repaire
Se sacrifie à l'Amour universel!"
La torche tombe de sa main êployêe,
Et l'incendie alors hurla s'êlevant,
Querelle ênorme d'aigles rouges noyêe
Au remous noir de la fumêe et du vent.
L'or fond et coule à flots et le marbre êclate;
C'est un brasier tout splendeur et tout ardeur;
La soie en courts frissons comme de l'ouate
Vole à flocons tout ardeur et tout splendeur.
Et les satans mourants chantaient dans les flammes
Ayant compris, comme s'ils êtaient rêsignês!
Et de beaux choeurs de voix d'hommes et de femmes
Montaient parmi l'ouragan des bruits ignês.
Et lui, les bras croisês d'une sorte fière,
Les yeux au ciel où le feu monte en lêchant,
Il fit tout bas une espèce de prière
Qui va mourir dans l'allêgresse du chant.
Il dit tout bas une espèce de prière,
Les yeux au ciel où le feu monte en lêchant...
Quand retentit un affreux coup de tonnerre,
Et c'est la fin de l'allêgresse et du chant.
On n'avait pas agrêê le sacrifice:
Quelqu'un de fort et de juste assurêment
Sans peine avait su dêmêler la malice
Et l'artifice en un orgueil qui se ment.
Et du palais aux cent tours aucun vestige,
Rien ne resta dans ce dêsastre inouï,
Afin que par le plus effrayant prodige
Ceci ne fût qu'un vain rêve êvanoui...
Et c'est la nuit, la nuit bleue aux mille êtoiles;
Une campagne êvangêlique s'êtend
Sêvère et douce, et, vagues comme des voiles,
Les branches d'arbres ont l'air d'ailes s'agitant.
De froids ruisseaux courent sur un lit de pierre;
Les doux hiboux nagent vaguement dans l'air
Tout embaumê de mystère et de prière;
Parfois un flot qui saute lance un êclair.
La forme molle au loin monte des collines
Comme un amour mal dêfini,
Et le brouillard qui s'essore des ravines
Semble un effort vers quelque but rêuni.
Et tout cela comme un coeur et comme une âme,
Et comme un verbe, et d'un amour virginal
Adore, s'ouvre en une extase et rêclame
Le Dieu clêment qui nous gardera du mal.
LA GRACE
A Armand Silvestre.
Un cachot. Une femme à genoux, en prière.
Une tête de mort est gisante par terre,
Et parle, d'un ton aigre et douloureux aussi.
D'une lampe au plafond tombe un rayon transi.
"Dame Reine...-Encor toi, Satan!-Madame Reine...
-"O Seigneur, faites mon oreille assez sereine
Pour ouïr sans l'êcouter ce que dit le Malin!"
-"Ah! ce fut un vaillant et galant châtelain
Que votre êpoux! Toujours en guerre ou bien en fête;
(Hêlas! j'en puis parler puisque je suis sa tête),
Il vous aima, mais moins encore qu'il n'eût dû.
Que de vertu gâtêe et que de temps perdu
En vains tournois, en cours d'amour loin de sa dame
Qui belle et jeune prit un amant, la pauvre âme!"
-"O Seigneur, êcartez ce calice de moi!"
-"Comme ils s'aimèrent! Ils s'êtaient jurê leur foi
De s'êpouser sitôt que serait mort le maître,
Et le tuèrent dans son sommeil d'un coup traître."
-Seigneur, vous le savez, dès le crime accompli,
J'eus horreur, et prenant ce jeune homme en oubli,
Vins au roi, dêvoilant l'attentat effroyable,
Et pour mieux dêjouer la malice du diable,
J'obtins qu'on m'apportât en ma juste prison
La tête de l'êpoux occis en trahison:
Par ainsi le remords, devant ce triste reste,
Me met toujours aux yeux mon action funeste.
Et la ferveur de mon repentir s'en accroît,
O Jêsus! Mais voici: le Malin qui se voit
Dupe et qui voudrait bien ressaisir sa conquête,
S'en vient-il pas loger dans cette pauvre tête
Et me tenir de faux propos insidieux?
O Seigneur, tendez-moi vos secours prêcieux!"
-"Ce n'est pas le dêmon, ma Reine, c'est moi-même,
Votre êpoux, qui vous parle en ce moment suprême,
Votre êpoux qui, damnê (car j'êtais en mourant
En êtat de pêchê mortel), vers vous se rend,
O Reine, et qui, pauvre âme errante, prend la tête
Qui fut la sienne aux jours vivants pour interprète
Effroyable de son amour êpouvantê."
-"O blasphème hideux, mensonge dêtestê!
Monsieur Jêsus, mon maître adorable, exorcise
Ce chef horrible et le vide de la hantise
Diabolique qui n'en fait qu'un instrument
Où souffle Belzêbuth fallacieusement,
Comme dans une flûte on joue un air perfide!"
-"O douleur, une erreur lamentable te guide,
Reine, je ne suis pas Satan, je suis Henry!"
-"Oyez, Seigneur, il prend la voix de mon mari!
A mon secours, les Saints, à l'aide, Notre-Dame!"
-"Je suis Henry, du moins, Reine, je suis son âme,
Qui, par sa volontê, plus forte que l'enfer,
Ayant su transgresser toute porte de fer
Et de flamme, et braver leur impure cohorte,
Hêlas! vient pour te dire avec cette voix morte
Qu'il est d'autres amours encor que ceux d'ici.
Tout immatêriels et sans autre souci
Qu'eux-mêmes, des amours d'âmes et de pensêes.
Ah! que leur fait le Ciel ou l'Enfer. Enlacêes,
Les âmes, elles n'ont qu'elles-mêmes pour but!
L'enfer pour elles, c'est que leur amour mourût,
Et leur amour de son essence est immortelle!
Hêlas! moi, je ne puis te suivre aux deux, cruelle
Et seule peine en ma damnation. Mais toi,
Damne-toi! Pousserons heureux à deux, la loi
Des âmes, je le dis, c'est l'alme indiffêrence
Pour la fêlicitê comme pour la souffrance
Si l'amour partagê leur fait d'intimes cieux.
Viens afin que l'enfer, jaloux, voie, envieux,
Deux damnês ajouter, comme on double un dêlice,
Tous les feux de l'amour à tous ceux du supplice,
Et se sourire en un baiser perpêtuel!"
-Ame de mon êpoux, tu sais qu'il est rêel
Le repentir qui fait qu'en ce moment j'espère
En la misêricorde ineffable du Père
Et du Fils et du Saint-Esprit! Depuis un mois
Que j'expie, attendant la mort que je te dois,
En ce cachot trop doux encor, nue et par terre,
Le crime monstrueux et l'infâme adultère,
N'ai-je pas, repassant ma vie en sanglotant,
O mon Henry, pleurê des siècles cet instant
Où j'ai pu mêconnaître en toi celui qu'on aime?
Va, j'ai revu, superbe et doux, toujours le même,
Ton regard qui parlait dêlicieusement,
Et j'entends, et c'est là mon plus dur châtiment,
Ta noble voix, et je me souviens des caresses!
Or si tu m'as absous et si tu t'intêresses
A mon salut, du haut des cieux, ô cher souci,
Manifeste-toi, parle, et dêmens celui-ci
Qui blasphème et vomit d'affreuses hêrêsies!."
-"Je te dis que je suis damnê! Tu t'extasies
En terreurs vaines, ô ma Reine. Je te dis
Qu'il te faut rebrousser chemin du Paradis,
Vain sêjour du bonheur banal et solitaire
Pour l'amour avec moi! Les amours de la terre
Ont, tu le sais, de ces instants chastes et lents:
L'âme veille, les sens se taisent somnolents,
Le coeur qui se repose et le sang qui s'affaire
Font dans tout l'être comme une douce faiblesse.
Plus de dêsirs fiêvreux, plus d'êlans ênervants,
On est des frères et des soeurs et des enfants,
On pleure d'une intime et profonde allêgresse,
On est les cieux, on est la terre, enfin on cesse
De vivre et de sentir pour s'aimer au delà,
Et c'est l'êternitê que je t'offre, prends-la!
Au milieu des tourments nous serons dans la joie,
Et le Diable aura beau meurtrir sa double proie,
Nous rirons, et plaindrons ce Satan sans amour.
Non, les Anges n'auront dans leur morne sêjour
Rien de pareil à ces dêlices inouïes!"-
La Comtesse est debout, paumes êpanouies.
Elle fait le grand cri des amours surhumains,
Puis se penche et saisit avec pâles mains
La tête qui, merveille! a l'aspect de sourire.
Un fantôme de vie et de chair semble luire
Sur le hideux objet qui rayonne à prêsent
Dans un nimbe languissamment phosphorescent.
Un halo clair, semblable à des cheveux d'aurore,
Tremble au sommet et semble au vent flotter encore
Parmi le chant des cors à travers la forêt.
Les noirs orbites ont des êclairs, on dirait
De grands regrets de flamme et noirs. Le trou farouche
Au rire affreux, qui fut, Comte Henry, ta bouche,
Se transfigure rouge aux deux arcs palpitants
De lèvres qu'aurêole un duvet de vingt ans,
Et qui pour un baiser se tendent savoureuses...
Et la Comtesse à la faèon des amoureuses
Tient la tête terrible amplement, une main
Derrière et l'autre sur le front, pâle, en chemin
D'aller vers le baiser spectral, l'âme tendue,
Hoquetant, dilatant sa prunelle perdue
Au fond de ce regard vague qu'elle a devant...
Soudain elle recule, et d'un geste rêvant
(O femmes, vous avez ces allures de faire!)
Elle laisse tomber la tête qui profère
Une plainte, et, roulant, sonnant creux et longtemps:
-"Mon Dieu, mon Dieu, pitiê! Mes pêchês pênitents
Lèvent leurs pauvres bras vers ta bênêvolence,
O ne les souffre pas criant en vain! O lance
L'êclair de ton pardon qui tuera ce corps vil!
Vois que mon âme est faible en ce dolent exil!
Et ne la laisse pas au Mauvais qui la guette!
O que je meure!"
Avec le bruit d'un corps qu'on jette,
La Comtesse à l'instant tombe morte, et voici:
Son âme en blanc linceul, par l'espace êclairci
D'une douce clartê d'or blond qui flue et vibre
Monte au plafond ouvert dêsormais à l'air libre
Et d'une ascension lente va vers les cieux.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La tête est là, et dardant en l'air ses sombres yeux
Et sautèle dans des attitudes êtranges:
Telles dans les Assomptions des têtes d'anges,
Et la bouche vomit un gêmissement long,
Et des orbites vont coulant de pleurs de plomb.
L'IMPÉNITENCE FINALE
A Catulle Mendès.
La petite marquise Osine est toute belle,
Elle pourrait aller grossir la ribambelle
Des folles de Watteau sous leur chapeau de fleurs
Et de soleil, mais comme on dit, elle aime ailleurs.
Parisienne en tout, spirituelle et bonne
Et mauvaise à ne rien redouter de personne,
Avec cet air mi-faux qui fait que l'on vous croit,
C'est un ange fait pour le monde qu'elle voit,
Un ange blond, et même on dit qu'il a des ailes.
Vingt soupirants, brûlês du feu des meilleurs zèles
Avaient en vain quêtê leur main à ses seize ans,
Quand le pauvre marquis, quittant ses paysans
Comme il avait quittê son escadron, vint faire
Escale au Jockey; vous connaissez son affaire
Avec la grosse Emma de qui-l'eussions-nous cru?
Le bon garèon êtait absolument fêru,
Son dêsespoir après le dêpart de la grue,
Le duel avec Contran, c'est vieux comme la rue;
Bref il vit la petite un jour dans un salon,
S'en êprit tout d'un coup comme un fou; même l'on
Dit qu'il en oublia si bien son infidèle
Qu'on le voyait le jour d'ensuite avec Adèle.
Temps et moeurs! La petite (on sait tout aux Oiseaux)
Connaissait le roman du cher, et jusques aux
Moindres chapitres: elle en conèut de l'estime.
Aussi quand le marquis offrit sa lêgitime
Et sa main contre sa menotte, elle dit: Oui,
Avec un franc parler d'allêgresse inouï.
Les parents, voyant sans horreur ce mariage
(Le marquis êtait riche et pouvait passer sage),
Signèrent au contrat avec laisser-aller.
Elle qui voyait là quelqu'un à consoler
Ouït la messe dans une ferveur profonde.
Elle le consola deux ans. Deux ans du monde!
Mais tout passe!
Si bien qu'un jour elle attendait
Un autre et que cet autre atrocement tardait,
De dêpit la voilà soudain qui s'agenouille
Devant l'image d'une Vierge à la quenouille
Qui se trouvait là, dans cette chambre en garni,
Demandant à Marie, en un trouble infini,
Pardon de son pêchê si grand, si cher encore,
Bien qu'elle croie au fond du coeur qu'elle l'abhorre.
Comme elle relevait son front d'entre ses mains,
Elle vit Jêsus-Christ avec les traits humains
Et les habits qu'il a dans les tableaux d'êglise.
Sêvère, il regardait tristement la marquise,
La vision flottait blanche dans un jour bleu
Dont les ondes, voilant l'apparence du lieu,
Semblaient envelopper d'une atmosphère êlue
Osine qui semblait d'extase irrêsolue
Et qui balbutiait des exclamations.
Des accords assoupis de harpe de Sions
Cêlestes descendaient et montaient par la chambre,
Et des parfums d'encens, de cinnamome et d'ambre.
Fluaient, et le parquet retentissait des pas
Mystêrieux de pieds que l'on ne voyait pas,
Tandis qu'autour c'êtait, en dêcadences soyeuses,
Un grand frêmissement d'ailes mystêrieuses
La marquise restait à genoux, attendant,
Toute admiration peureuse, cependant.
Et le Sauveur parla:
"Ma fille, le temps passe,
Et ce n'est pas toujours le moment de la grâce.
Profitez de cette heure, ou c'en est fait de vous."
La vision cessa.
Oui certes, il est doux
Le roman d'un premier amant. L'âme s'essaie,
C'est un jeune coureur à la première haie.
C'est si mignard qu'on croit à peine que c'est mal.
Quelque chose d'êtonnamment matutinal.
On sort du mariage habitueux. C'est comme
Qui dirait la fleur aurorale de l'homme,
Et les baisers parmi cette fraîche clartê
Sonnent comme des cris d'alouette en êtê,
O le premier amant! Souvenez-vous, mesdames?
Vagissant et timide êlancement des âmes
Vers le fruit dêfendu qu'un soupir rêvêla...
Mais le second amant d'une femme, voilà!
Ou a tout su. La faute est bien dêlibêrêe
Et c'est bien un nouvel êtat que l'on se crêe,
Un autre mariage à soi-même avouê.
Plus de retour possible au foyer bafouê.
Le mari, dêbonnaire ou non, fait bonne garde
Et dissimule mal. Dêjà rit et bavarde
Le monde hostile et qui sêvirait au besoin.
Ah! que l'aise de l'autre intrigue se fait loin,
Mais aussi cette fois comme on vit, comme on aime.
Tout le coeur est êclos en une fleur suprême.
Ah! c'est bon! Et l'on jette à ce feu tout remords,
On ne vit que pour lui, tous autres soins sont morts.
On est à lui, on n'est qu'à lui, c'est pour la vie,
Ce sera pour après la vie, et l'on dêfie
Les lois humaines et divines, car on est
Folle de corps et d'âme, et l'on ne reconnaît
Plus rien, et l'on ne sait plus rien, sinon qu'on l'aime!
Or cet amant êtait justement le deuxième
De la marquise, ce qui fait qu'un jour après,
-O sans malice et presque avec quelques regrets,-
Elle le revoyait pour le revoir encore.
Quant au miracle, comme une odeur s'êvapore
Elle n'y pensa plus bientôt que vaguement.
Un matin, elle êtait dans son jardin charmant,
Un matin de printemps, un jardin de plaisance.
Les fleurs vraiment semblaient saluer sa prêsence,
Et frêmissaient au vent lêger, et s'inclinaient
Et les feuillages, verts tendrement, lui donnaient
L'aubade d'un timide et dêlicat ramage
Et les petits oiseaux volant à son passage,
Pêpiaient à plaisir dans l'air tout embaumê
Des feuilles, des bourgeons et des gommes de mai.
Elle pensait à lui; sa vue errait, distraite,
A travers l'ombre jeune et la pompe discrète
D'un grand rosier bercê d'un mouvement câlin,
Quand elle vit Jêsus en vêtement de lin
Qui marchait, êcartant les branches de l'arbuste
Et la couvait d'un long regard triste. Et le Juste
Pleurait. Et en tout un instant s'êvanouit.
Elle se recueillait
Soudain un petit bruit
Se fit. On lui portait en secret une lettre,
Une lettre de lui, qui lui marquait peut-être
Un rendez-vous.
Elle ne put la dêchirer.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Marquis, pauvre marquis, qu'avez-vous à pleurer
Au chevet de ce lit de blanche mousseline?
Elle est malade, bien malade.
"Soeur Aline,
A-t-elle un peu dormi?"
-"Mal, Monsieur le marquis."
Et le marquis pleurait.
"Elle est ainsi depuis
Deux heures, somnolente et calme. Mais que dire
De la nuit? Ah! Monsieur le marquis, quel dêlire?
Elle vous appelait, vous demandait pardon
Sans cesse, encor, toujours, et tirait le cordon
De sa sonnette."
Et le marquis frappait sa tête
De ses deux poings et, fou dans sa douleur muette,
Marchait à grands pas sourds sur les tapis êpais.
(Dès qu'elle fut malade, elle n'eut pas de paix
Qu'elle n'eût avouê ses fautes au pauvre homme
Qui pardonna.) La soeur reprit pâle: "Elle eut comme
Un rêve, un rêve affreux, Elle voyait Jêsus,
Terrible sur la nue et qui marchait dessus,
Un glaive dans la main droite et du la main gauche
Qui ramait lentement comme une faux qui fauche,
Écartant sa prière, et passait furieux."
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Un prêtre saluant les assistants des yeux,
Entre.
Elle dort.
O ses paupières violettes!
O ses petites mains qui tremblent maigrelettes!
O tout son corps perdu dans des draps êtouffants!
Regardez, elle meurt de la mort des enfants.
Et le prêtre anxieux se penche à son oreille.
Elle s'agite un peu, la voilà qui s'êveille,
Elle voudrait parler, la voilà qui s'endort
Plus pâle.
Et le marquis: "Est-ce dêjà la mort?"
Et le docteur lui prend les deux mains et sort vite,
On l'enterrait hier matin. Pauvre petite!
DON JUAN PIPÉ
A Franèois Coppêe.
Don Juan qui fut grand Seigneur en ce monde
Est aux enfers ainsi qu'un pauvre immonde
Pauvre, sans la barbe faite, et pouilleux,
Et si ce n'êtaient la lueur de ses yeux
Et la beautê de sa maigre figure,
En le voyant ainsi quiconque jure
Qu'il est un gueux et non ce hêros fier
Aux dames comme aux poètes si cher
Et dont l'auteur de ces humbles chroniques
Vous va parler sur des faits authentiques.
Il a son front dans ses mains et paraît
Penser beaucoup à quelque grand secret.
Il marche à pas douloureux sur la neige,
Car c'est son châtiment que rien n'allège
D'habiter seul et vêtu de lêger
Loin de tout lieu où fleurit l'oranger
Et de mener ses tristes promenades
Sous un ciel veuf de toutes sêrênades
Et qu'une lune morte êclaire assez
Pour expier tous ses soleils passes.
Il songe. Dieu peut gagner, car le Diable
S'est vu rêduire à l'êtat pitoyable
De tourmenteur et de geôlier gagê
Pour être las trop tôt, et trop âgê.
Du Rêvoltê de ja